Témoignages

#MoiAussi

J’avais 18 ans la première fois où j’ai été confrontée au viol. Il m’en aura fallu 5 de plus pour accepter que ça m’était arrivé, que ma douleur était légitime, que je n’avais pas à avoir honte parce que je ne l’avais pas cherché ou parce que je croyais que mes souffrances étaient moins importantes que celles qui avaient connu pire. Il m’aura fallu beaucoup d’amour et de confiance, de temps surtout, pour comprendre mais surtout pour me pardonner ; je ne l’avais pas cherché et il n’avait pas le droit de faire ce qu’il avait fait parce que j’avais amené des bières chez lui, un soir de décembre, un samedi froid et glacé qui m’a changé pour toujours.

Comme toutes les femmes de mon entourage, j’ai été élevée dans la peur de l’Homme, on m’a toujours dit qu’il fallait que je fasse attention en rentrant le soir, attention à mon verre pendant les fêtes, les sorties de fin de semaine, attention à la longueur de ma jupe, à la profondeur de mon décolleté ; “toi surtout qui a une poitrine si généreuse”, à qui je fréquente, à ce que je dis puisque ça pourrait être mal interprété. J’ai toujours pris pour acquis que c’était à moi d’être suffisamment vigilante et que si je l’étais assez, rien ne pourrait m’arriver et que dans le cas contraire, finalement, ce serait ma faute. Que je l’aurais bien cherché. Que je n’aurais pas été suffisamment prudente. Toutes ces recommandations je le sais partaient de bonnes intentions mais je comprends maintenant que c’est à cause d’elles que j’ai ressenti autant de culpabilité pendant si longtemps. Que j’en ressens encore.

Pourtant, j’essaie de me convaincre maintenant que je n’avais rien demandé, que ma démarche était innocente et que si j’étais allé chez lui ce soir là ce n’était que pour regarder un film et me détendre en buvant une bière. Je pouvais lui faire confiance, je l’avais certes rencontré sur Internet mais il était l’ami d’une amie et j’avais déroulé la liste des mises en gardes dans ma tête avant d’y aller ; tout était ok, je respectais le protocole de sûreté. Les vêtements que je portais n’avaient aucune importance ( un jean et une chemise noire, toute douce ) et la quantité de bière que j’avais prise n’entrait pas en compte ( une, voir une en plus, que je n’ai jamais terminé ) j’essaie aujourd’hui de me rentrer dans la tête qu’il n’avait pas le droit de m’obliger.

Les parenthèses, la justification, c’est parce que je ne suis pas encore guérie, je préfère justifier avant d’être attaquée puisque la force pour me défendre, je ne l’ai pas encore.

Lorsqu’il a déchiré la chemise et qu’il avait forcé l’entrée de ma bouche, des larmes se sont mises à couler sur mes joues et les mots qu’il a sorti à ce moment là résonne encore dans ma tête : “Quoi? C’est pas assez gros pour toi?”… La seule explication à mes pleurs, selon lui, c’était que la taille de son sexe n’était pas assez satisfaisante. Devant mon absence de réponse, il a continué, les mains plaqués derrière ma tête. “Tu t’attendais à quoi en venant ici?”. Les mots, ce sont les siens, tranchants comme des lames. Il a terminé son affaire et je suis partie après, presque nue sous mon manteau, ma chemise déchirée dans mon sac et dans mon dos les rires gras qu’il partage avec son coloc.

Dans la rue, un sdf m’aborde et me dit que je suis trop jolie pour pleurer. Je craque, j’appelle une amie pour qu’elle vienne me chercher, je n’ai pas la force de prendre le métro. Je lui raconte et elle ne sera que la première d’une longue lignée à me demander à quoi j’avais bien pu penser en allant chez lui boire des bières ; le message était clair et explicite, je devais le vouloir, lui.

Quelques mois plus tard, j’ai tout plaqué et j’ai changé de pays. Les coutures craquaient, je manquais d’air, mes poumons fonctionnaient mais à chaque fois qu’elle se soulevait, ma poitrine me brûlait. J’ai rencontré l’homme de ma vie, qui chaque jour un peu plus, m’aide à me soigner. Il m’aura fallu deux ans pour le rencontrer, et beaucoup de courage pour lui avouer. Nous travaillons à faire en sorte que dans ma tête, les rôles s’inverse et que la culpabilité s’envole. C’est difficile. Le chemin est long. Chaque message sur les réseaux sociaux qui font porter le blâme aux victimes, je les prends pour moi, autant de preuves que je l’avais bien cherché. Et quand il y en a trop, il faut recommencer une partie du travail.

Aujourd’hui, j’occupe un poste dans un monde d’homme où le harcèlement, les blagues sexistes, misogynes et les gestes obscènes sont monnaie courante. Un collègue m’a un jour tiré par les cheveux alors que j’étais agenouillée et m’a plaqué la joue contre son entrejambe. J’ai retenu mes larmes devant mes collègues hilares. J’ai parfois l’impression que je n’y échapperais jamais.