Témoignages

Je n’ai pas dormi ensuite. Lui, si.

C’est arrivé une semaine environ avant l’anniversaire des mes treize ans.

Cette année là, j’étais déjà « formée », j’avais un corps de femme, mais un esprit de petite fille. J’avais toujours été extrêmement proche de mon cousin, âgé d’un an de plus que moi. On avait un caractère proche, on faisait de la voile ensemble l’été. On était comme des meilleurs amis.
Cet été là, nous étions nombreux dans la maison familiale, et lui et mon petit frère dormaient dehors, sous la tente. Il m’a proposé de venir dormir avec eux et de regarder un film, j’ai accepté. Vers deux heures du matin, j’ai senti ses mains sur moi, qui m’ont réveillée. J’ai senti son souffle, sa bouche sur mon visage. Il murmurait « je sais que tu ne dors pas » « je t’aime » « je sais que tu en as envie »… J’avais douze ans !

Non je n’en avais pas envie non, je n’ai juste rien compris à ce qui m’arrivait. Je sentais ses mains partout, sur mon visage, mon cou, mes seins, mon sexe. Il me faisait mal.
Mon frère dormait à côté de moi. J’étais pétrifiée. J’ai espéré très fort qu’il ne se réveille surtout pas, j’aurais eu trop honte. De toutes façons, il était suffisamment silencieux pour ne pas le réveiller. Je ne saurais pas dire combien de temps ça a duré – quinze minutes, une heure, deux ? Peu importe.

Je n’ai pas dormi ensuite. Lui si.
J’ai passé le lendemain en état de choc. Le soir, lors d’une sortie au village, j’ai tout dit à ma cousine, avec mes mots d’enfant. Pendant ce temps, lui il draguait lourdement une fille de la bande devant nous. Je pense que si je reparle à ma cousine de cette soirée, elle a probablement oublié le plus gros secret de ma vie.

Les mois suivants, je les ai passés comme en dehors de moi. Je vivais, j’allais au collège, mais mon esprit flottait à des kilomètres plus loin. Vers le milieu de l’année scolaire, j’ai osé mettre des mots dessus : un viol, c’est un acte sexuel non consenti par l’un des deux partenaires. Et même si ce n’était pas allé « jusqu’au bout », c’était tout de même un viol.
Je me dégoutais profondément. J’y pensais tout le temps. Quand j’étais seule, je lui parlais, je pleurais, je hurlais, je lui crachais ma haine de lui et de moi même, ma souffrance, mon incompréhension. Heureusement, la deuxième personne à qui j’en ai parlé a tout fait pour que je m’accepte à nouveau, et les choses se sont arrangées pour moi. Un peu. Ce qui ne m’a pas évité les crises de larmes à répétition pendant encore des semaines.

Mais le problème restait tout de même Lui. Je ne pouvais pas le regarder dans les yeux, et lorsqu’il me touchait ou même me frôlait par inadvertance, je tremblais et rêvais de lui arracher la trachée artère. Je continuais mes dialogues fictifs, ma petite échappatoire secrète.
Trois ans après, l’été de mes seize ans, sa mère a su. Elle a promis de faire tout son possible, tout en essayant d’aider son fils. Mais en attendant, il a fallu, comme depuis trois ans déjà, il a fallu que je me taise et que je mente et que je fasse semblant d’aller bien. À la rentrée, j’ai pris rendez vous chez une psy.

Je voulais tout dire à ma famille à Noël. Le dire à eux, ça avait toujours été le détail pour lequel je n’avais jamais osé porter plainte. Je voulais qu’on le dévisage avec horreur, qu’il ressente ma honte, mieux encore, je voulais que les autres le détestent autant que je m’étais détestée moi même. Puis, un soir, sa mère m’a appelée, et m’a dit, en gros, « c’est pas si grave que ça, regarde, les gens arrivent à s’en sortir ». J’ai complètement perdu le contrôle et j’ai tout dit à mes parents. Enfin ?
Les mois qui ont suivi furent, sans hésiter, les pires de ma vie. Je pleurais tout le temps. J’avais peur de rentrer chez moi, je ne parlais plus à mes parents, eux étaient bien sur désolés, mais à quoi bon ? Mes amis devaient me forcer à manger. Je ne restais plus seule le soir, de peur de faire des conneries et de me faire du mal. Je me suis tapée la tête contre les murs et me suis cassé une phalange quand j’ai reçu une lettre de sa part, où il s’excusait.

Puis est arrivé Noël, la date fatidique. Avant de le revoir, j’ai failli vomir plusieurs fois dans la journée. J’étais morte de peur. Et … tout s’est étonnamment bien passé. Vraiment. Il a respecté mon choix de l’éviter, pour la première fois. Il ne m’a ni parlé ni touchée. Je n’ai pas eu à fuguer, comme je l’avais prévu au cas où.

Et maintenant ? Je ne saurai jamais si, ce soir là, il l’a fait parce qu’il « m’aimait » vraiment ou si c’était pour contenir son désir pour l’autre fille. Je ne veux pas savoir. Depuis, j’ai réussi à dépasser mes blocages, avoir une vie sexuelle normale, un copain. Mais cette expérience m’a fait grandir, et m’a changée à jamais. Il m’a volé mon innocence, mon enfance ; il m’a fait devenir une autre personne, de manière irrémédiable, m’a appris la gravité, la douleur, la peur, le dégoût, la haine.

Mais je ne suis plus une victime. Je suis une survivante. Et je suis indestructible.